Par où commencer?

Je devrais peut-être commencer par parler du voyage dans ce minuscule avion de Air Tahiti, pris à Rangiroa, qui m’a fait survoler des atolls dispersés dans l’océan Pacifique?

Ou encore, conter l’arrivée dans cet aéroport minuscule de Fakarava, une grande salle en fait, guère plus, où s’agglutinaient ceux qui embarquaient et ceux qui arrivaient, le temps d’un échange de places et de valises dans l’avion du jour?

Non! Je pourrais plutôt détailler le parcours en camionnette, un parcours chaotique, secoué sur une banquette sans confort, avec une barre de fer, supposée tenir le rôle de dossier, qui appuyait violemment au milieu de mon dos à chaque secousse?

Peut-être, sinon, d’écrire l’embarquement dans cette barque à moteur, qui nous a fait rejoindre notre lieu de logement, au sud de l’île, en longeant le lagon?

Oui, c’est là qu’à commencé véritablement la magie, l’envoutement de ce petit saut de puce au cours de mon voyage. J’ai quitté quelques jours Rangiroa pour Fakarava, un atoll à demi englouti au sud est des Tuamotu. Je vais à Tetamanu Village. Une pension de cabanes de bois, située sur un motu, donnant sur la passe de Tumakohua. La passe mythique de Polynésie!!! Celle où vivent des centaines de requins à longueur d’année et qui tolèrent, plus ou moins sans heurt – j’en reparlerai plus loin – la venue de plongeurs palmés, embouteillés ou non. Oui, c’est au cours de ce sublime parcours en bateau, que mon coeur s’est enchanté pour cette île…

À L’HEURE OÙ LE SOLEIL DÉCLINE.

Dix personnes à bord. Les discussions courtoises avaient eu lieu pendant le trajet en camion. Chacun s’est donc choisi une place dans le bateau. Je suis le seul à bord qui voyage non accompagné. J’ai opté pour le côté lagon, face au soleil. Et nous avons quitté le quai. L’eau était calme. C’est souvent le cas dans les lagons, mais pas toujours. Là, c’était une merveille de calme. Le bateau glissait en surface, sans grande secousse. Le puissant moteur poussait la coque dans un ronronnement mécanique. A ce son, s’ajoutait le clapotement saccadé des projections d’eau blanche de part et d’autre de l’étrave. J’étais dans mes pensées. N’entendant que des paroles indiscernables, qui s’échappaient parfois des conversations des autres voyageurs. Comme si la beauté de cet instant n’avait pas été suffisante, le soleil a passé un accord avec quelques nuages pour décorer l’ensemble de couleurs picturales intenses. Au gré du vent, ce tableau céleste changeait pour réinventer de nouveaux accords parfaits. L’harmonie des cieux, de la mer, de l’air et des couleurs dans la lumière déclinante, me poussaient dans des émotions fortes, qui allaient de la simple béatitude, à un transfert mental affectueux vers les miens, ceux que j’aime, qui, seuls, manquaient à la perfection de ce moment. Et moi, humble spectateur, le sourire au visage et l’âme ravie, j’ai fait face à ce phénomène, autant visuel que cérébral, pendant plus d’une heure.

UNE ARRIVÉE EN PANORAMIQUE.

Porté haut par tous ces sentiments qu’avait générés le trajet, j’ai pourtant passé un stade supérieur de ravissement en arrivant près du ponton de débarquement de la pension. Dans une mise en scène rodée, le personnel nous attendait, en rang, pour aider à l’atterrissage. Ce que je découvris m’a maintenu en totale extase. Du grand spectacle! Les cabanes sur pilotis et le quai au premier plan, ouvraient la vue sûr des bungalows, répartis de façon disparate le long du rivage. Je ne vous parle pas là d’un hôtel grand luxe avec des constructions modernes en bois vernis. Non, le village Tetamanu est plus dans un style traditionnel (entendez simple et basique) dans sa construction. Chaque bungalow, entouré d’arbustes, est une construction en matière végétale, placée devant la mer et dotée d’une terrasse à la vue imprenable. Cela donne un air très pittoresque à l’ensemble, surtout comparé aux vues habituelles d’un habitant de région parisienne…

Une fois le contenu du verre de bienvenue avalé et les premières consignes de vie indiquées, chaque client a pris le chemin de son espace personnel. On m’a alors dit que j’étais logé côté Sauvage, sur un motu voisin, qu’il faut rejoindre par trois minutes de marche. On y accède en traversant une passerelle qui surplombe un bras de mer. Le trajet n’était qu’émerveillement. On circule au milieu de la végétation disparate de cocotiers et autres Tiarés aux senteurs enivrantes. Au loin, quelques bâtiments sont posés, ici et là. Je comprendrais plus tard que ce sont des habitants permanents qui y logent. Tetamanu est un vrai village dans lequel sont répartis quelques bungalows de la pension. Les rues ressemblent plus à des chemins, prêts à être avalés par l’herbe opportuniste. Ici, il y avait, jadis, le village principale de l’île de Fakarava. Une église y est construite. Elle est réputée par son matériau de construction: le corail.

De l’autre coté des passerelles, le motu est entièrement la propriété de la pension. Une petite dizaine de constructions y est répartie en cercle. Ouvertes vers le rivage, elles permettent ainsi à chacun d’avoir sa vue sur l’eau. J’ai eu la chance d’avoir la chambre la plus extrême, à l’opposé des passerelles. Je parle de chance, car ma terrasse, située sur une sorte de pointe du relief, offre une vue dégagée qui s’étend à 180° sur la Nature. A droite, l’océan grondant rejoint le lagon par un Hoa (bras d’eau version Polynésienne) qui se déroule sous mes yeux. Le lagon se trouve à ma gauche et s’étend, de ses bleus clairs à des bleus plus profonds, à perte de vue.

De l’autre côté de ce plan d’eau, éloigné d’une cinquantaine de mètres minimum, un autre motu, terre sauvage vide, s’ajoute à la vue impressionnante que j’ai. La notion de sauvage prend ici tout son sens. Depuis ma cabane, dont l’intérieur ne comprend qu’un lit, un lavabo et une douche/wc (oui, c’est possible), la porte d’entrée donne sur la terrasse à la vue incroyable.

J’ai vite pris le pli de ce lieu. J’y ai ressenti un bien être réel. Un apaisement suave. Je suis assis, dans le plus simple appareil, sur une chaise de bois rudimentaire pourtant pas très confortable, et j’écris… Je suis seul, personne ne peut me voir et je ne vois personne. Devant moi l’eau s’étend étincelante de mille éclats. Quelques oiseaux tentent leur chance au détriment des poissons. Le levé de soleil a maintenant lieu sur ma droite. L’océan se fracasse sur le corail avec son concert d’écume. Le calme, bien qu’il n’y ait jamais de silence, est réel. Chaque son est une musique de la Nature. Il y a de la sérénité. Seul, à l’opposé de mon monde. Je me tiens là et je me tais. Je regarde. Je respire. Je m’extasie. Je profite. J’emmagasine de la beauté simple. C’est ainsi, quelle que que soit l’heure. Du matin au soir, les lumières changeantes dessinent différemment ce paysage. Même la nuit, les étoiles inondent le ciel pour offrir d’autres émerveillements. Souvent, de l’eau noire, se font entendre des éclaboussures soudaines, rappelant que la course à la vie ne s’arrête pas avec l’obscurité. Le vent glisse, repoussant les moustiques nombreux, qui me laissent, à contre coeur pour eux, un court répit que je savoure.

Moi, je souris béatement.

Je pense au programme de la journée. Je participe habituellement à deux plongées quotidienne. Je préfère lorsque le courant est rentrant dans la passe. La mer est alors plus claire. Le bateau nous largue un peu vers la sortie du chenal et c’est la descente sous l’eau, maintenant maitrisée. J’utilise ce temps, au cours duquel je fais attention à la pression de mes oreilles, pour déployer mes flashes. Puis, la palanquée se laisse glisser le long des coraux. Ici, point de dauphin comme à Rangiroa. Les maîtres des lieux sont des poissons aux dents acérées. Requins pointe noire et pointe blanche des lagons, mais aussi des requins gris, plus voraces, qui fourmillent de toutes parts. La journée, ils sont assez calmes et se regroupent au milieu d’un petit canyon. On en voit qui s’assoupissent un instant sur un banc de sable blanc. Je peux alors m’approcher par l’arrière avec l’espoir de les contourner pour une photo volée. Souvent – non, à chaque fois! – leur système de surveillance interne me repère et un mouvement de queue les éloigne de quelques mètres. D’autres nagent en tournant en rond, furetant de-ci, de-là. Notre groupe fait généralement un arrêt, en s’accrochant comme nous pouvons, pour regarder le spectacle impressionnant. On les observe à deux mètres, sauf quand un requin est plus curieux et s’approche… Ils n‘ont pas grand chose à faire dans la journée. Ils attendent la nuit. Leur moment privilégié!

Le jour, d’innombrables poissons d’autres races côtoient les requins sans être inquiets. Parfois un prédateur à l’aileron caractéristique tente sa chance pour un casse-croûte toujours bienvenu. Mais cela est fait sans conviction, car les poissons sont plus rapides avec la lumière de notre astre. Tous ensemble, ils créent un microcosme sous-marin enchanteur, que je regarde en m’extasiant au grès du courant calme.

LA RELATIVITE DU TEMPS.

Plonger pour regarder la beauté sous-marine… M’assoir sur ma terrasse et en contempler la vue exceptionnelle… Manger des plats – pas très sophistiqués, mais nourrissants – faits sur place par deux cuisinières souriantes… Me promener sur le chemin qui mène, de ma chambre, aux installations de la pension… Faire des photos… Tout cela est si plaisant que je ne vois pas le temps passer. Je ne cherche pas à le voir. Je profite de chaque instant. C’est un moment rare pour moi. J’ai d’ailleurs choisi de ne pas allumer mon téléphone durant toute ma présence ici. J’aurai pu acheter un forfait internet à la pension. J’aurai pu montrer régulièrement mes images sur Facebook. J’aurai pu… Mais j’ai préféré me déconnecter. Lâcher prise pour me centrer sur ici et sur moi-même.

Alors je pense à ceux que j’aime. Je me rappelle mes enfants, lorsqu’ils étaient bébés. La douceur de leur peau abricot. Leurs premiers pas et leurs apprentissages, curieux de toutes leurs découvertes. Leurs rires d’enfants, qui éclataient pour un rien et qui sont les plus beaux sons de la vie, je crois. Je pense aux adultes qu’ils deviennent. A mon propre parcours aussi. A mes tentatives d’apprendre encore. A ma quête de compréhension de cet univers étrange, où la vie n’est rien en étant, pourtant, le plus précieux des biens. Je pense à mes photos, à ce qu’elles tentent de dire et à la suite dont je ne sais rien. Des phrases se créent parfois dans mon esprit. Elles me plaisent par les idées qu’elles font naître. Je me sens inspiré. Je me sens ouvert à la beauté d’ici. J’écarte les pensées sombres, qui tentent encore une percée dans ma tête. Par contre, je garde ma rage contre les moustiques voraces, faut quand même pas exagérer…

J’ouvre mon corps au vent et à l’eau qui glissent. J’observe! L’oiseau qui se nourrit. Les poissons qui passent leur temps à échapper aux prédateurs ou, s’ils sont prédateurs, à capturer leur repas. Des scènes banales qui arrivent en tous lieux, mais qu’on (je) ne prend(s) habituellement pas (plus) le temps de regarder.

Avec les autres ( plongeurs et moniteurs ) que je croise aux moments des repas ou des sorties en mer, je parle de plongées. Chacun décrit les poissons qu’il a vus et s’étonne de tant de variétés si belles. La plupart sont des voyageurs au long-court. Leur esprit sent l’ouverture aux autres et aux découvertes. L’un s’occupe de suivre les baleines au Québec. Une autre, française, est puéricultrice en Australie et fait le tour du monde avec son mari irlandais. Un autre couple vient de Singapour. Certains iront ensuite à l’île de Pâques… Ils racontent leurs périples que j’écoute avec grande attention. Ça parle français, tahitien, anglais, espagnol et même russe. Ces rencontres sont de petits voyages au milieu de mon propre voyage.

Tout cela fait du bien…

(Fin de la première partie – Lire la suite)