(Si vous avez manqué le début de cet article, c’est ici)

ALLER PLUS LOIN, JUSTE À CÔTÉ.

Je suis à Fakarava. Un des spots les plus réputés de plongée du monde. Moi, David Strano! Je me retrouve ici par des ricochets de hasards qui m’étonneront toujours. C’était si improbable que cela pourrait suffire à mon ravissement.

Alors, j’ai voulu en profiter pour faire encore plus exceptionnel pour moi. Pour ne pas passer devant une opportunité sans la saisir. J’ai voulu oser une plongée de nuit. Plonger de nuit est, à entendre les commentaires de ceux qui l’ont déjà fait, une chose particulièrement forte en sensations. Se retrouver dans un milieu aqueux, dans le noir complet, à ne pouvoir respirer que par un tube, est une expérience que nous avons tous vécue. Mais, j’en conviens, aucun de nous n’en a de souvenir.

Refaire l’expérience peut être impressionnant. Là, en plus, ça va se passer au milieu des requins! Ajouter à l’eau et à la nuit, des centaines de Sélachimorphes affamés par une journée de diète, excités par l’émulation exponentielle que crée le goût du sang, dans le tourbillon de folie qui s’empare d’eux… Je dois avouer que c’est un acte qui m’a fait réfléchir un petit moment. Un moment très court en fait. Car après tout, j’ai conscience de n’être pas dans la liste des proies potentielles. Cela n’est pas sans risque, bien sûr. Mais le risque est partout en fait, ici et ailleurs. D’ailleurs, il y a à peine quelques jours, une monitrice a malheureusement eu une mâchoire de requin plantée dans son mollet. Ce n’est pas elle qui était visée. Un petit poisson, avec des requins aux trousses, avait dû passer entre les jambes de la malchanceuse et, dans l’instant, une mâchoire s’est jetée sur le mollet qui se trouvait là. J’ai vu la plaie et heureusement que le prédateur l’a recrachée immédiatement…

Mais il ne faut pas s’arrêter à ça. Et puis, objectivement, où ferai-je une expérience aussi sidérante si ce n’était pas ici?

Alors, il n’y a pas à hésiter. Je me suis donc porté volontaire pour une plongée nocturne!

N’allez pas imaginer une expédition façon Jurassic Parc, avec tout un staff prêt à agir. C’est beaucoup plus simple et sans chichi à Fakarava! A l’heure où le soleil se couche, notre petit groupe de deux clients et de trois moniteurs (car deux ont sautés sur l’aubaine d’une sortie de nuit) s’est préparé sur le ponton de bois. Nous avons enfilé une combinaison intégrale de Néoprène, seule arme contre un éventuel coup de dent – mais il parait que l’odeur de cette matière repousse les voraces. Nous avons écouté avec attention les consignes de plongée à appliquer dans l’obscurité. Nous avons bu chaque info sur le comportement à tenir au milieu des requins affamés pour éviter une morsure malencontreuse. Le principe est simple: ils ne veulent pas nous croquer, mais ils peuvent nous confondre, donc il vaut mieux éviter d’être au milieu de leur assiette!

Dans le noir qui s’avançait, nous avons navigué vers le point d’entrée dans l’eau. Imaginez l’ambiance de la préparation avant le grand saut. Une première plongée dans le noir, entouré de requins. A devoir gérer mon appréhension de la respiration en bouteille, à devoir faire abstraction des dents partout autour et avec en tête l’idée de faire de belles photos…

Nous nous sommes jeté à l’eau, les uns après les autres, pour descendre le long d’une corde mise là exprès. L’impression du noir est effectivement assez étrange. Mais la lampe que chacun porte est un repère suffisant pour structurer l’espace. J’ai fait confiance aux moniteurs pour le parcours à suivre et l’entrée dans le monde des requins a commencée. Et quelle entrée! Sous nous, partout, des centaines de requins s’activaient déjà. Pour eux, c’est maintenant qu’ils mangent… ou pas. Et ils préfèrent manger. Donc, ça ne rigole pas. Des hordes passent dans tous les sens. Ils sont si nombreux que je n’arrive pas à comprendre comment ils peuvent éviter de se percuter ente eux. Comment ils peuvent nous éviter. Dès que l’un d’entre eux flaire une proie, c’est alors un affolement total dans leur rang. En une seconde des milliers de dents avides de chair se ruent, sans trop savoir ce qu’elles croquent. Il ne fait pas bon être un poisson au milieu de cet enfer. Tout va à des vitesses fulgurantes. C’est une orgie gargantuesque. Tant qu’un bout comestible surnage, dix bouches, cinquante bouches s’affairent à l’engloutir.

Eclairée par nos faisceaux de lumière, j’ai en tête l’image d’un mur de requins au milieu duquel un poisson de bonne taille s’est malencontreusement retrouvé. J’imagine l’horreur absolue. J’ai vu des bouches se ruer, puis, l’ensemble a quitté le raie de lumière. Je n’ai pas vu ce qui est advenu de la proie. C’est le lot quotidien dans cette course à la vie. Chaque nuit, les requins fouillent les coraux pour en déloger les poissons qui s’y cachent. Malheur à celui qui est obligé d’en sortir. Son sort est scellé dans une frénésie rare.

En tant que spectateur, j’ai fait abstraction d’être dans la même gamelle que tout ce beau monde. Je me suis posé un moment, assis sur le sable blanc. Je faisais face au mur de corail et de requins. Dans la lumière de mon spot, je voyais passer les affamés juste au niveau de mes palmes. Certains s’approchaient de moi à quelques dizaines de centimètres. L’un d’eux a bifurqué d’un coup vers un de mes flashes, puis, comprenant le peu d’intérêt pour lui, l’a oublié aussi vite en se détournant. Un autre a cogné contre ma palme. J’ai ressenti aussi des petits chocs dans mon dos, sur la bouteille, mais je ne saurais dire avec exactitude si c’était le fait des requins ou si c’était juste un mouvement des sangles de mon gilet. Je regardais devant moi. Sans voir derrière. Mais je sais bien qu’il y en avait autant de tous les côtés.  C’est enthousiasmant et envoutant. Je prenais autant de photos que possible. Attendant avec impatience mon appareil et le rechargement des flashes pour saisir un autre instant fugace. Les requins sont partout. Certains passaient si près de moi qu’il m’était impossible de les cadrer entier, malgré mon grand angle. Quand la frénésie se rapprochait, le groupe de plongeurs changeait prudemment d’endroit d’observation.

Bizarrement j’étais calme. J’entendais ma respiration tranquille. Je pensais à surveiller ma consommation et mon niveau d’air. Même si je n’avais pas la notion du lieu où nous nous trouvions dans la passe, je suivais le groupe avec facilité et sans appréhension.

Après une quarantaine de minutes sous l’eau, le chef de palanquée a décrété la remontée. Nous avons rejoint la corde du départ. Le bateau était visible par en-dessous. Mon pallier a duré trois minutes et je suis ressorti plein d’entrain pour échanger avec les autres, sur le bateau.

C’était une expérience envoutante et magique qu’il me tardait de pouvoir refaire. Je suis donc retourné en plongée la nuit suivante, pour une seconde fois.

Le programme était prévu à l’identique par rapport à la veille. Le courant était peut-être un peu plus fort. Les requins, présents par centaines, étaient nettement plus agités. Plus virevoltant autour de nous. L’un d’entre-eux est venu percuter mon objectif. Directement face à moi. C’est donc la preuve qu’ils n’ont aucun système sûr pour nous éviter. Il a eu une secousse d’étonnement et a fait demi tour, avant de disparaitre.

Les poissons destinés à être croqués étaient, eux, en panique. On le conçoit aisément. Il y en a eu un qui est venu chercher refuge dans ma direction. Il s’est glissé, sans que je le vois, entre mes bras tendus avec l’appareil photo et a percuté mon cou. Je l’ai senti frétiller contre mon visage. C’est le pire scénario. Mon reflex a été de lâcher mon appareil et de bouger mes mains pour l’expulser, alors qu’il était surement déjà loin. Une plongeuse, située juste derrière a vu la scène. Elle m’a dit que des requins arrivaient sur moi. Je ne les ai pas vu. Heureusement, ni senti. Ils ont changé leur chemin sans me percuter. Les requins, excités, à la démence, par la frénésie de la chasse, auraient pu confondre leur proie. Je n’ose imaginer ce qu’un coup de dent porté à mon cou, comme celui donné au mollet de la monitrice, aurait pu engendrer comme dégâts. Mais tout s’est bien passé, les requins ont assurés! J’ai récupéré mon appareil (il est sanglé, donc pas de risque en le lâchant) et la séance s’est poursuivie sans autre tension.

Maintenant je suis à nouveau sur la terrasse de ma chambre. C’est mon dernier soir à Fakarava. Le ciel est voilé. La nuit est noire. Le vent souffle. Demain je quitte l’île et toute sa magie bienfaitrice. Ces cinq jours auront été riches en découvertes et en belles expériences. J’ai beaucoup aimé, mais je pense que ces lignes l’ont déjà expliqué.

Je suis arrivé un mercredi. Je repars un lundi.

Fakarava, malgré la multitude de ses cadeaux, n’aura donc aucun mardi à m’offrir…

A bientôt pour la suite de ce blog!