Bien sûr, il n’y a aucun bout à ce monde. Ce n’est que nous même qui en fixons les limites. Souvent ce que l’on appelle le bout du monde peut ne se trouver qu’à quelques mètres de soi. Un mode de vie différent, une rencontre qui nous surprend, des habitudes qui changent et c’est tout notre univers qui bascule. Depuis que j’ai entrepris ce voyage, j’aime à dire que (si j’allais) plus loin, je me rapprochais… J’attendais avec impatience d’être confronté à cette île. Je la savais différente de tout ce que j’avais vu jusqu’ici. Et au final, je constate que ce n’est peut-être pas Rangiroa qui est différente, mais que c’est surement moi. C’est ce que je fais ici, et comment je le fais, qui change tout!

 

Ailleurs sur Terre.

J’ai donc quitté les Îles sous le vent pour atteindre les Tuamotu. Je me suis posé sur le premier Atoll de mon histoire et tout de suite, j’ai ressenti la fragilité de ce bout de terre perdu au milieu de l’océan. Je suis sur une terrasse, à huit kilomètres de la passe de Tiputa et à deux de celle d’Avatoru. Une passe, c’est une fracture, un passage dans le récif corallien. Un chemin que s’est forgé l’océan pour investir le lagon. L’atoll, c’est une île en fin de vie. Une phase terminale, avant que tout ici ne soit englouti. Car l’océan gagnera. Mais en attendant, tout ici est encore très actif.

Il y a d’abord eu un volcan qui a fait naitre une île nouvelle. On parle de soixante millions d’années avant que je ne tapote sur mon clavier. La lave est montée haut et s’est refroidie en laissant l’île originelle. La vie, qui profite de tout en prenant son temps, s’est petit à petit installée. Des coraux ont commencé à coloniser les abords de l’île. Tout autour, un récif corallien exubérant a grandi. Il devait être gigantesque. Assez fort pour freiner les assauts de l’océan. Ou du moins pour en ralentir la violence. Le temps s’est laissé glisser et finalement, l’île d’origine, constituée de lave, a commencée à s’effondrer sur elle-même. Venue du fond de l’océan, elle y est retournée en coulant. Un immense lagon central a fini par la remplacer. La barrière de corail qui l’entourait, le récif exubérant, a fini par se retrouver surplombant l’eau de quelques mètres. Ce récif corallien est ce qui compose l’atoll aujourd’hui. Cette bande de “terre”, qui n’en est pas vraiment une puisqu’elle est de corail, c’est là où les hommes se sont installés. De l’océan à l’eau plus calme du lagon, cette bande de vie terrestre fait à peine quelques centaines de mètres.  D’un coté, une plage douce s’ouvre sur le lagon. De l’autre, l’océan s’agite de toute sa puissance Pacifique, propulsant ses vagues d’écume. Si je courais pour en faire le tour la balade durerait plus de deux-cents kilomètres. Oui, c’est le deuxième plus grand lagon du monde actuel. Et si l’idée folle me prenait de le traverser à la nage, il me faudrait palmer pendant trente-deux kilomètres.

C’est magique. Magique, car après le volcan aux laves jaillissantes, les effondrements destructeurs, les tempêtes que l’on peut imaginer et les chamboulements incessants durant des milliers d’années, il reste aujourd’hui cette bande minuscule qui recèle encore la vie. Et quelle vie! Une des plus belles de la planète-mer. L’atoll, c’est une oasis inversée, perdu au milieu de rien. Les nuages passent déverser leur offrande et s’en vont poursuivre leur chemin. Aucune montagne ne les retient. Alors le bleu de l’eau joue avec le bleu du ciel à longueur de temps. Mais il ne faut pas être naïf, ici il n’y a pas d’autre eau que celle de pluie. Dans le sol, celle qui s’y enfouit devient saumâtre. Impropre à la consommation. Alors chacun devrait prendre conscience de ce don merveilleux qu’est cet abri en mer. Ce n’est malheureusement pas le cas universellement. L’homme est égal en tout lieu et croit toujours qu’il peut se servir à l’infini. Pourquoi cela serait-il différent ici? En marchant le long de la plage, côté océan, pour me rendre au village, j’ai ramassé cinq bouteilles de plastique, vides, qui trainaient au sol. Je ne suis pas donneur de leçon, j’ai ma part de responsabilité dans ce monde. Mais je ne me voyais pas juste passer en admirant le décor et en faisant comme-ci ces bouteilles n’y étaient pas. En arrivant en “ville”, un homme m’a regardé en disant avec une sorte de mépris “pourquoi tu t’embêtes avec ça, de toutes façons elles retourneront où tu les as ramassées”… Je ne vais pas chercher à expliquer cette réaction. Par contre je me demande pourquoi ces bouteilles sont encore autorisées. Partout elles polluent, tuent des poissons et nous empoisonnent. Il est nécessaire d’avoir de l’eau importée ici, comme je l’ai d’abord dit. Mais on trouve également des plus grosses bouteilles de vingt litres qui sont consignées. Une fois vides, elles sont nettoyées et resservent encore. Pourquoi ce système n’est-il pas LA règle? C’est valable pour ailleurs, bien sûr…

Dans la passe de Tiputa, où la violence de l’océan tente de pénétrer le lagon, des dauphins sautent dans les vagues. Ils s’en amusent. S’en délectent. Des bateaux accompagnent quelques touristes chanceux, pour danser au milieu des cétacés. Ces mammifères se sont regroupés dans la passe et y ont élu domicile. A chaque renversement de marée, lorsque les vagues sont les plus agitées à Tiputa, la population se réunit sur la berge et les cherche. C’est eux, les dauphins, que j’espère pouvoir photographier de près. Je ne serai pas le premier, mais plonger ici n’est pas une garantie de les voir. Ce sont eux qui décident de s’approcher ou pas.

J’ai donc décidé de passer un Open Water SDI.C’est une habilitation mondiale pour plonger en club jusqu’à -18m. Pendant trois jours, j’ai suivi les explications pratiques et théoriques pour que j’aille scruter les fonds en toute sécurité. Pendant la formation, les appareils photos sont interdits. Donc tout ce que j’ai vu jusqu’ici, je ne peux le partager qu’en mots, mais pas en photo…

Lors de la première plongée, nous sommes allés à “l’aquarium“, qui est un endroit protégé, connu pour l’abondance des poissons qui y vivent. Les bateaux d’excursion y passent chaque jour avec leur flot de touristes. Moi j’y suis allé un jour de pluie. Les gouttes s’abattaient si grosses et si fortes qu’elles semblaient être de la grêle sur ma peau nue. Sous l’eau, le calme. Une file indienne de requins pointe noire a défilé sous mes yeux ébahis. Une murène curieuse s’est approchée pour voir les nouveaux venus. Comme tout était ok niveau plongée, nous sommes passés à l’étape suivante: l’océan!

Le bateau nous a apportés au bord d’un tombant qui s’enfonce à 4000m. Après immersion, le bleu/noir était omniprésent. Il m’aspirait par les mystères qu’il suggère. La limite était fixée à -12m, mais mon ordinateur m’a indiqué 14,5m au plus bas. Les moniteurs ont dit que nous avons eu de la chance au cours de cette plongée. Il semblerait que j’attire les animaux, d’après eux, parce-qu’un requin pointe blanche, pas très grand, s’est approché. Il a tourné vers moi, m’a fixé en venant encore plus près. Il voulait me voir, curieux qu’il était. Jusqu’à 1,5m. C’est vraiment près…enfin, pour que je me retrouve face à un requin à ce stade de mon apprentissage. Alors j’ai eu un geste de recul. Et il s’est détourné. Superbe.

Nous avons aussi vu quatre dauphins, un peu plus loins au dessus de notre palanquée. Ils dormaient d’après le moniteur. Mais cela ne les rendait pas moins magnifiques. Les dauphins ont la faculté de ne pouvoir éteindre qu’un seul hémisphère de leur cerveau. Ils semblent donc inactifs, mais au besoin ils donnent un coup de queue pour s’éloigner d’un coup. Ils étaient trop loins de nous pour qu’on s’en approche. Une autre fois…

Nous avons aussi croisé des poissons Napoléons, gigantesques, tout proches… Une raie tachetée… Un ballon étoilé… Un baliste Titan… Une superbe plongée.

Puis ce fut l’heure du coucher de soleil à Rangiroa. Là, le ciel, déjà magnifique, s’est paré de couleurs improbables. Les rares nuages se maquillent alors de rouges, d’orange et de pourpre. La mer reflète ces couleurs en les rendant plus mystérieuses, mélangées par les rides de sa surface. La Lune a aussi voulu être du spectacle. Elle s’est levée faisant face au soleil pour nous faire tourner la tête. Un moment à être bien. Aucun touriste autour de moi. Quelques oiseaux qui s’agitent dans le ciel. Quelques requins qui s’agitent dans l’eau. Chacun vit cet instant comme il le doit. L’obscurité arrive. Un jour se finit sur l’atoll de Rangiroa et je suis aux anges. Impatient de prendre mon appareil pour aller plonger avec les poissons, impatient de retourner voir les dauphins, impatient de photographier la colère de l’océan. Impatient… mais j’ai tout le temps…

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