Togo fût l’un des principaux chiens d’attelage de Leonhard Seppala lors de la course au sérum de 1925 , une course organisée dans l’urgence afin de récupérer un traitement anti-diphtérie pour sauver des enfants en Alaska. Togo est souvent considéré comme le héros oublié de la course au sérum.

Moins connu que le chien Balto, appartenant également à Leonhard Seppala, sa femme le prêta à Gunnar Kaasen afin de réaliser la dernière partie du trajet (soit 30 miles – 48 kms) et ramener le sérum plus rapidement. Pour l’anecdote, à l’arrivée de Gunnar à Nome, un journaliste lui demanda comment s’appelait son chien de tête. Il répondit Fox. Le journaliste lui dit que cela n’irait pas, tout le monde le confondrait avec un renard alors il demanda « et l’autre comment il s’appelle ? » Gunnar répondit « Balto ».

Durant la course au sérum, Togo parcourt 264 miles – 425 kms à travers la baie, les montagnes et la tempête. En moyenne les 19 autres attelages qui ont participé à ce relais entre Nenana et Nome ont parcouru 31 miles – 50 kms.

Togo a par la suite engendré plusieurs portées de chiots jusqu’à son décès un jeudi de décembre, quatre ans après la course au sérum.

Voici son histoire…


Temps de lecture 12mn.

Togo, le chien du désert azur.

Je m’appelle Togo. Je suis né en octobre 1913. Oui, c’était il y a longtemps. A cette époque, mon maitre, Leonhard Seppala était un musher réputé. Et, comme il avait la chance d’avoir souvent de belles portées de chiots forts et courageux, il faisait un peu d’élevage également. Moi, je suis le mélange d’un Husky de Sibérie, par ma mère et d’un Malamute d’Alaska, par mon père.

Autant vous dire tout de suite que j’ai du caractère.

Ce caractère bien trempé, c’est ce qui m’a valu des débuts assez compliqués avec Leonhard. Il n’aimait pas trop ma fougue et mon empressement à faire tout ce qui me passait par la tête. Ça m’a aussi fait perdre un bout d’oreille. Bon, je dois avouer que j’aime bien embêter les autres chiens. Enfin, quand je dis embêter, je pense plutôt à me battre. Ce n’est pas par méchanceté, c’est juste que j’aime bien quand ça bouge et quand on se bouscule avec un peu de force. La chose que j’aime particulièrement, c’est de m’approcher des autres chiens et d’essayer de leur mordiller les pattes. C’est pour jouer que je fais ça. Un jour, je me suis trop approché de chiens qui n’avaient pas du tout envie de jouer. La meute entière s’est jetée sur moi et mon oreille est restée dans la bouche de l’un d’entre eux. C’est comme ça.

Malheureusement, cela a donné envie à mon maitre de se séparer de moi. Je ne sais pas trop ce qui lui a pris, mais il m’a donné comme chien de compagnie à une gentille famille de la ville. Ce n’est pas que j’étais maltraité dans cette maison-là. Je reconnais même qu’on m’y nourrissait bien et qu’on ne m’obligeait pas à dormir dehors. Mais, j’aime dormir dehors moi. Je dirais même que c’est dehors que je me sens le mieux. Alors, il ne m’a pas fallu longtemps pour prendre la poudre d’escampette et retourner dans la maison de mon maitre. Quand Leonhard m’a vu, il a fait la tête. Il s’est fâché contre moi. Il a crié très fort.

Pour me punir, il m’enfermait dans l’enclos quand il partait avec les autres chiens.

Du moins, il essayait, car ce n’est pas une grille, même haute de deux mètres, qui aurait pu m’empêcher d’aller faire ce que je voulais. Chaque fois qu’il me cloitrait, je trouvais un moyen de m’échapper. Je pistais sa trace et celle du traineau à travers les immenses plaines qui nous entouraient. Il ne me fallait pas beaucoup de temps pour les rattraper et courir avec eux.

Leonhard pestait en me voyant, mais ça ne retirait rien à mon plaisir de les accompagner.

Un jour, il a enfin compris ce qui me faisait plaisir!

Il m’a enfin fait confiance et m’a attelé avec les autres. Je crois que c’est sa femme qui l’a convaincu de faire un essai. Au début, il m’a mis vers l’arrière de la meute, mais ce n’était pas la bonne place pour un chien comme moi. C’est être devant qui me plait. Mener les autres et sentir le vent sur mon visage, courir sur des kilomètres et des kilomètres dans la neige me va beaucoup plus. Heureusement, mon maître n’a pas mis beaucoup de temps pour le comprendre et je suis devenu ce qu’on appelle un chien de tête. Je crois même que Leonhard a été un peu fier de voir à quel point je faisais bien mon travail en tirant les autres.

Être à ma place dans la meute a été la plus belle chose qui me soit arrivée. Je ne saurais comment l’expliquer. Il y a une ambiance toute particulière dans la meute, lorsque l’on s’apprête à sortir. Dès que le musher donne son ordre et que la course commence, je me sens vivre. C’est un sentiment de liberté intense qui me prend. Un plaisir inimaginable de pouvoir courir à en perdre haleine. Durant nos courses, j’arrive à sentir les pistes d’animaux sauvages, comme des renards ou des rennes. J’adore suivre la trace des rennes. Il m’est arrivé de partir seul plusieurs fois pour en suivre. Courir dans la neige est une chose que vous devriez essayer. Le vent glacé qui glisse sur la fourrure, les lumières bleutés qui transforment le paysage, tout cela est d’une telle beauté… Et puis, à la tête du groupe, j’adore faire ce que je veux. Les autres me suivent et c’est très excitant. C’est une vraie responsabilité que d’être le meneur. Je me dois de ne pas entrainer l’équipage dans une crevasse ou vers n’importe quel autre danger. C’est à moi qu’il appartient de trouver le meilleur passage. Bien sûr, Leonhard m’indique les directions, mais dans la course c’est à moi que tout le monde fait confiance.

C’est cette vie au grand air que je voulais et je suis heureux d’avoir eu un maître comme Leonhard.

Plusieurs années se sont écoulées ainsi et j’avais largement fait mes preuves en tant que leader de la meute. En janvier 1925, alors que la plupart des autres chiens du même âge que moi avait déjà renoncé à courir, Leonhard Seppala, mon maître, a eu l’importante mission de transporter un médicament pour des enfants malades. Moi, je n’avais pas besoin d’avoir une raison pour courir. Il suffisait qu’on m’attèle et j’étais immédiatement prêt à donner tout ce que j’avais en moi pour faire plaisir à mon maître. Mais cette fois-là, l’enjeu était la vie de nombreux enfants d’humains et cela rendait notre mission encore plus importante.

Je ne saurais pas dire avec exactitude combien de kilomètres nous avons couru. Je sais que cela a duré plusieurs jours. Nous sommes passés par des endroits dangereux, où je sentais la glace prête à casser sous notre poids. Nous avons même traversé un lit de mer gelée. Je ne sais pas si vous comprenez de quoi je parle. En hiver, les lacs gèlent assez rapidement à cause du froid. Ça tout le monde le sait. La glace qui se forme alors est bien lisse et plane et il est assez facile d’y courir. Pour ce qui concerne l’eau de mer, c’est un peu plus compliqué. A cause du courant permanent, à cause du vent violent et aussi en fonction d’autres choses que je ne comprends pas vraiment, la glace ne se forme pas uniformément, comme sur les lacs. Là où l’été c’est la mer, le sol se cabosse en gelant. Il se tord. Il se fissure. Il forme parfois des zones épaisses bien solides, mais aussi des zones plus fines et plus fragiles, qui peuvent rompre au passage d’un équipage. Il est très impressionnant de courir sur cette glace. On n’est jamais certain de sa solidité, ni des détours que l’on devra faire pour arriver à en sortir. Et je ne vous parle pas du vent qui y souffle et qui fait descendre la température à des niveaux impressionnants. Jusqu’à -65°, il me semble. Si par malheur on tombait à l’eau, rien ne pourrait nous sauver, perdu au milieu de l’eau froide, loin de tout secours.

Moi, j’adore ! C’est comme ça que je me sens vivant.

Durant cette mission pour transporter le remède, le temps jouait contre nous. Plus le voyage serait long et plus le risque de voir des petits d’Homme mourir serait grand. Leonhard a donc choisi de couper par la mer gelée. Je sentais bien que lui et les autres chiens étaient tendus. Je reconnais avoir été inquiet moi-même, par moment. Les craquements de la glace sous notre poids me crispaient et nous avions tous envie de vite voir le bout de ce passage. A plusieurs reprises, j’ai senti le traineau glisser vers le côté, là où se trouvaient des fissures inquiétantes. Leonhard donnait l’ordre de nous en éloigner. Je faisais tout ce que je pouvais pour entraîner la meute avec moi, à l’opposé. Mais nous étions tous comme aspirés irrémédiablement vers ce qui pouvait être notre perte. Il faut dire que nous étions assez fatigués par les étapes précédentes et que le terrain était particulièrement périlleux. A chaque foulée, je sentais mes ongles s’enfoncer dans la glace pour s’y accrocher. Et pourtant rien n’y faisait : on se déportait. Je cherchais du regard un passage qui soit plus accessible, mais, au milieu des congères et des blocs de glace, ça n’était pas facile. Chacun redoublait d’efforts. Il fallait avancer en courant à toute vitesse et éviter de nous laisser déporter vers les zones de glaces les plus fragiles. Souvent, nous nous retrouvions dans des flaques d’eau jusqu’au ventre. Le traineau s’enfonçait en devenant plus lourd encore une fois mouillé. Jamais pourtant, la voix de Leonhard n’a cessé d’être ferme et déterminée. Jamais je n’ai laissé aucun des autres chiens de la meute cesser de tirer. Jamais je ne me suis découragé.

Nous devions obligatoirement passer par là pour arriver plus vite avec les médicaments, alors on l’a fait.

Quand nous sommes enfin arrivés, Leonhard nous a tous félicité pour notre travail. J’étais épuisé d’avoir tant donné et il le savait. Il m’a fait de longues caresses et m’a laissé dormir auprès du feu avec lui. J’étais fier !

Je sais qu’après notre course, un autre attelage a pris le relais et que c’est Balto, un autre chien de tête, qui a été félicité pour son travail de chien de traineau. Je crois que des humains ont fait une statue à son honneur et qu’ils l’ont mise dans le parc d’une grande ville. Mais ça n’a aucune importance. Je sais bien que nous avons été plusieurs équipages à courir le plus vite possible pour apporter le traitement aux enfants. Ils ont pu être sauvés et c’est ce qui compte. Et puis, même si ce n’est pas une statue de moi qui a été érigée, tout le monde sait bien que je suis le chien de tête qui a mené le traineau sur la plus longue distance et le plus longtemps. L’important c’est de ne pas avoir flanché. D’avoir tenu bon.

Moi j’ai simplement fait mon travail et ce que j’aime le plus dans ma vie.

Après cela je suis resté encore quelques années avec mon maître. Puis, lorsque j’ai été trop vieux pour travailler, Leonhard m’a mis à la retraite dans un autre foyer. Lui devait encore parcourir les plaines pour son travail et je ne pouvais plus l’y accompagner.

Parfois, lorsque le vent souffle du Nord et que le soleil inonde la terre de ses lumières glacées, je repense aux courses que je faisais jadis et elles me manquent. Leonhard me manque aussi beaucoup. Entre nous, je pense que tous nos raids n’auraient pas été aussi beaux si on ne les avait pas faits ensemble. Désormais je m’endors devant le feu de la cheminée et je rêve à nos terrains de jeux qui s’étendaient à perte de vue dans la neige et dans la glace. Je coure à en perdre haleine en laissant glisser l’air frais sur ma fourrure. Mon maitre me donne les indications pour notre route et je suis heureux.

Texte écrit par David Strano.


En 2019, Disney a raconté l’histoire de Togo dans un superbe film.

La bande annonce
L’affiche du film

Sources: Disney+; Wikipédia; Histoire de Compagnie. Photos: DR Francesca Hotchin; Jonatan Pie; Juha Lakaniemi; Sergey Pesterev; Tom Barrett; Disney & David Strano.